Michel de Decker, "Le magicien de l'histoire" par André Castelot
Je me souviens de ma première rencontre avec Michel de Decker. C'était en 1972, exactement un 23 janvier. Je m'en souviens d'autant mieux que c'était là mon jour d'anniversaire…
Or, le 23 janvier était également l'anniversaire de mon visiteur… Point de la même année, bien sûr ! puisque je suis né en 1911 (ce qui aujourd'hui ne date pas d'hier)… et lui, en 1948 !
Cependant en dépit de ces quelques années d'écart nous partagions l'un et l'autre la même passion, celle de faire revivre et aimer le passé par tous les moyens d'expression possibles, que ce soit le livre, les conférences, la Radio ou la Télévision, sans oublier la joie qui peut émaner des spectacles son et lumière. Nous avions le même goût de la recherche de documents inédits et des rencontres avec des témoins de l'Histoire.
Mon âge me donnait sans discussion possible une supériorité sur mon jeune visiteur, puisque j'avais rencontré Camille Flammarion, le général Weygand ou le prince Yousoupov, l'assassin du moine Raspoutine, qui est resté plus de trois heures à la Tribune de l'Histoire pour expliquer les raisons et donner les détails de son " meurtre ".
Une simple rencontre peut déclencher le goût et le plaisir d'une vocation. Toute ma vie je me souviendrais d'avoir échangé quelques mots, sur un trottoir de l'Avenue du Bois - aujourd'hui Avenue Foch - avec l'ex-capitaine Dreyfus, le triste héros de la plus célèbre des " affaires ". Triste, oui, parce que du personnage émanait une profonde nostalgie… et il y avait de quoi !
Je me souviens aussi, j'avais sept ou huit ans - m'être incliné devant l'impératrice Eugénie qui passait dans sa voiture au Cap Martin et qui souriait en voyant ce petit bonhomme esquisser une révérence. Oui, vous avez bien lu : l'impératrice Eugénie, née en 1824 et dont le mari Napoléon III avait été baptisé en 1807 par le cardinal-archevêque de Paris (Mgr de Belloy) qui était né, lui, sous Louis XIV en 1709 !
Vous voyez comme le passé est près de nous !
J'ai envié Michel de Decker lorsqu'il m'a avoué, lors de notre première rencontre, qu'il faisait alors ses premiers pas dans l'enseignement. Enseigner et surtout faire aimer l'Histoire auprès des jeunes, n'est-ce pas là une exaltante mission ?
Au cours d'une seconde rencontre, dans les archives de l'observatoire de Paris cette fois, Michel venait découvrir quel temps il pouvait bien faire le 2 septembre 1792 lors de l'exécution de la Princesse de Lamballe - il préparait alors une biographie de cette malheureuse femme. Je lui avais, en effet raconté lors de notre première entrevue que lorsque Marie-Antoinette était partie pour l'échafaud, j'avais découvert en ce lieu que le ciel de Paris était clair à 10 heures du matin, mais de lourds nuages noirs couvraient le ciel de la place de la révolution lorsque le couperet est tombé.
" Cela ne s'invente pas ! " s'était alors exclamé Michel de Decker.
" Certes, cher Michel, mais cela peut diablement aider le narrateur de l'Histoire que vous voulez devenir… D'autant que vous avez de la chance de vivre dans une région - la Normandie - où le passé surgit à chacun de nos pas. "
Faire revivre le passé, n'est-ce pas là le chemin que Michel de Decker a choisi ? L'enseigner et le faire aimer surtout ! Et son succès est tel aujourd'hui que son dernier livre, contant si joliment les amours du Roi-Soleil a été tiré - et vendu - à 80 000 exemplaires.
Si je cite ce chiffre ce n'est pas pour rappeler que les lits de l'Histoire sont une source de renseignements précieux, mais pour affirmer que parmi ces 80 000 lecteurs certains sont peut-être - sûrement même ! d'anciens élèves du professeur de Decker.
Plusieurs fois je me suis d'ailleurs cru moi-même l'un de ses élèves. Quand il m'a fait arpenter le champ de bataille d'Ivry, par exemple, et qu'il m'a quasiment lancé au cœur de la mêlée hérissée de hallebardes dans la meute des reîtres, des lansquenets, des Suisses et des arquebusiers.
C'est avec lui, aussi, que je me suis retrouvé à Rambouillet, en pleine révolution de 1830 et que, pendant cinq ou six jours, j'ai cheminé jusqu'à Cherbourg, traversant la Normandie, mettant mes pas dans ceux de Charles X et de Louis XIV sur la route de l'exil. Nous n'imaginions pas la fuite du Roi alors, non, nous la vivions. C'était une véritable résurrection.
Un dimanche matin, il y a quelques jours, j'écoutais France Bleu Normandie où Michel de Decker a l'habitude de parler à ses auditeurs. Ce matin-là, il s'agissait de Talleyrand. Ayant autrefois commis un livre sur cet étonnant personnage, j'écoutais avec d'autant plus de plaisir que Michel me fit redécouvrir des faits et des événements que j'avais totalement oubliés. Avec lui, le " Diable boiteux " sortait véritablement des brumes de l'Histoire. Et j'ai été envoûté…
Vous le voyez, Michel de Decker est un vrai magicien…
André Castelot - 04/10/1999
André Castelot, qui écrivait ces lignes à la veille de l'an 2000, nous a quittés en 2004.
Michel de Decker - 28/01/2012